Décédé le 31 mars dernier, Yves Boisset lança le festival « Feux Croisés » du cinéma Eckmühl en décembre 2010. Les quatre fictions programmées à cette occasion (« Le saut de l’ange », « Folle à tuer », « La femme flic » et Canicule ») rendaient cependant compte assez mal de la diversité d’une œuvre, riche d’une quinzaine de réalisations, dans la longue décennie des années 70. Mais voilà, le Boisset que nous accueillions, portait encore son sceau de « cinéaste le plus censuré de France » et la frilosité des distributeurs, ajoutée à l’état parfois peu engageant des copies, ne nous permirent pas de programmer davantage de projections publiques.
Réalisateur particulièrement chaleureux, c’est avec beaucoup de malice, d’humour mais aussi de gravité qu’il savait évoquer sa tumultueuse carrière. Observée aujourd’hui, celle -ci se caractérise, entre autres, par l’influence du cinéma italien (s’expliquant par sa longue présence dans la péninsule dans les années 60) et son étonnante modernité par l’éventail des thèmes abordés.
L’influence italienne se voit par les coproductions de ses sept premiers films et dans le choix assumé d’un cinéma populaire, inspiré de récits policiers, pour évoquer les problèmes de son temps . Tous ces éléments à l’époque ne pouvaient que déplaire à une certaine critique « intellectuelle » qui avec un dédain de classe méprisait le cinéma « à grand spectacle » et la lisibilité naturelle qui l’accompagnait.
« Le juge Fayard dit le Shériff » sorti en janvier 1977, de nouveau disponible depuis 2014, apparaît aujourd’hui comme la quintessence du cinéma d ‘Yves Boisset .
Préparant depuis quelques années un film sur la nouvelle génération de magistrats et de policiers, « enfants de Mai 68 », Boisset et son co-scénariste habituel Claude Veillot, sont interpellés par l’assassinat en Juillet 1975 du juge Renaud à Lyon.Ils mènent une longue enquête sur place, rencontrant truands du gang des Lyonnais et inspecteurs de police. Leur projet prend forme : il s’agira de l’histoire d’un jeune juge qui tente de parvenir à la vérité au péril de sa vie. S’inspirant de propos de Berthold Brecht (« si vous avez des choses importantes à dire, servez vous des armes du spectacle »), Boisset s’entoure de techniciens habitués au film d’action et de comédiens dont la jeunesse (Patrick Dewaëre, Philippe Léotard, Aurore Clément) ou l’expérience (Jean Bouise, Marcel Bozuffi, J.M. Thibault) permettent une large identification avec le public. Le tournage à St Etienne (la ville de Lyon étant trop dangereuse) n’empêchera pas Boisset de se faire durement tabasser et son fils menacé d’enlèvement ( ce qui explique le tournage peu après, en Irlande, d’un « Taxi Mauve », sa famille étant placé sous la protection de l’IRA!!) La sortie du film sera marquée par les tentatives du SAC, « officine » gaulliste, de le censurer …ce dont le réalisateur se servira habilement pour sa publicité.
Le film obtiendra le prix Louis Delluc et connaîtra un beau succès populaire. Boisset dans la revue « Jeune Cinéma » n°100 de février 1977 : « En France, sous la Vème République, il existe une étroite connivence entre la pègre et des hommes politiques influents … ». A la Radio Télévision Suisse ce même mois : « les américains peuvent réaliser les « Hommes du Président » mettant en cause la CIA, Francesco Rosi en Italie « L’Affaire Mattéi » , en France, on ne peut nommer les choses ». En 2024 (interview) : « J’ai toujours eu trois grandes préoccupations : la lutte contre l’injustice, la lutte pour la vérité et un combat acharné contre la bêtise. »
Roger Hélias
> Le Juge Fayard dit le « shériff » sera présenté par Roger Hélias le 23 mai prochain à 18 h